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10 mai 1981

mitterrand_affiche On avait fait une campagne comme jamais. En 74 déjà, on n’avait pas laissé notre place aux autres, mais là, jour et nuit, dès qu’on avait un quart d’heure, on décorait les murs, on remplissait les boites aux lettres, on battait le pavé. Et puis était arrivée LA date. Celle qu’on ne voulait rater pas pour tout l’or de l’empire. On est allé voter le matin. Le temps ne passait pas, les heures duraient des siècles, et rien ne pouvait calmer cette angoisse qui montait. 7 ans plus tôt, on y avait tellement cru. Pour se retrouver pleurant devant la télé, merci bien…

À tourner en rond, 20 heures a fini par arriver quand même. Un quart d’heure avant, on avait vu Duhamel, et Elkabach. Pâlots, les duettistes. On se prenait à y croire. Comme on dit dans de mauvais romans : Et si c’était vrai ? Quand l’image s’est dévoilée, d’abord on n’a pas trop osé crier, parce que finalement, les deux têtes avaient le même sommet ! Et puis tout à coup, c’est devenu réel, on avait gagné. Ce soir-là, ce n’était pas François Mitterrand le vainqueur.

C’était nous, toi, moi, Robert, Serge, François (un autre François !) et tous les autres. Le téléphone s’est mis à sonner de partout. Les bouchons sautaient. On ne savait pas bien chez qui on allait faire la fête. On ne savait pas bien non plus comment on allait faire la fête. On n’avait jamais rien gagné, nous.

On ne savait pas trop par quel bout la prendre cette victoire. Nos parents nous avaient bien raconté 36. Mais bon, nous on voulait faire du neuf, du jamais vu. On est parti dans tout le canton, klaxons bloqués, drapeaux aux portières, capotes des deuches baissées, assis sur les capots. Ça swinguait sévère, je vous prie de croire. Et c’était mieux que bien. Chez le copain qui avait prévu les bouteilles et les sandwiches, bizarrement, on était nombreux. Beaucoup plus que pendant la campagne… Les soirs de victoire, les militants ça se multiplie, vous l’avez remarqué aussi, j’en suis sûre ! On a fait des trucs complètement imbéciles, comme de tirer des coups de fusil en l’air. Un relent d’Amérique latine et de révolution ! On s’est tous assis par terre pour écouter le Président parler. Pour l’écouter nous dire : « Nous avons tant à faire ensemble ». Il s’est mis à pleuvoir, comme à Paris, où nous n’étions pas. Et on a crié dans la rue : « Mitterrand, du soleil ! ». Rien de grave, on était heureux. On avait gagné… On a un peu pleuré aussi. On a beaucoup embrassé les voisins qui venaient boire un coup, même si, peut-être, tous n’avaient pas voté comme nous. Et alors, aux législatives de juin, ils s’en souviendraient de ce soir-là !

On est rentrés au petit matin. L’école, ça commence à 8 heures, même les lendemains de victoire. Il nous restait quelques bouteilles qu’on a vidées avec les copains à midi, en salle des profs. En 81, les salles des profs votaient à gauche. On a refait l’histoire, raconté les anecdotes de ces deux mois derniers. Le curé qui avait appelé à voter Giscard au premier tour parce qu’on allait lui fermer son église, et à qui nous étions allés causer du pays un soir. Le marchand de journaux qui croyait qu’on allait lui collectiviser son échoppe. Les gars dans les réunions publiques qui craignaient qu’on abroge le Concordat. C’était il y a 30 ans. On s’engueule encore avec les mêmes aujourd’hui !

C’est après que tout a commencé. La grande histoire. Les belles heures. Le Panthéon, et ceux qui apprenaient qui était Schœlcher. La guillotine envolée pour de bon, 110 ans après la Commune. La retraite à 60 ans et tout le reste. Alors bien sûr, nous on n’y est pas pour grand-chose. Mais tout de même, nos nuits sans sommeil à coller, à differ, même qu’on disait encore distribuer en ce temps-là, c’est vous dire si c’est vieux ! toute cette belle énergie, ça avait quand même servi un peu à vivre cette aventure, non ? Ces jours-ci, vous allez en trouver une palanquée qui se diront déçus du socialisme. Laissez-les dire. Ne leur énumérez pas le bilan. S’ils l’ont oublié, c’est qu’ils n’ont pas beaucoup vécu avant. Nous, on ne regrette qu’une chose : c’est de n’avoir pas été plus opiniâtres sur la question scolaire. Parce que nous aussi nous étions des millions à vouloir que l’école change et on ne l’a pas montré. Et on a eu tort. Mais n’empêche, ce 10 mai-là, on a écrit une page d’histoire. Et ça, ce n’est pas rien…

brigitte blang

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